La fin d’après-midi était marquée par le soleil qui descendait derrière les montagnes, au loin. Nous avions encore quelques moments à passer en dehors des salles communes avant que nous ne soyons rappelés à l’ordre. Alors j’allai la chercher à l’entrée de sa salle commune, je savais qu’elle m’attendait. Heureusement, c’était sur notre chemin ; oui, nous avions pour projet de nous rendre à la tour d’astronomie. J’étais donc parti pour une longue série d’escaliers ; qui bougeaient, qui plus est. Quelle idée saugrenue.

Je la retrouvai comme convenu. J’avais mon sac avec moi, bien que nous n’en ayons pas besoin, et elle ne m’interrogea sur sa présence que lorsque nous arrivâmes à l’observatoire. Tandis qu’elle s’installait devant un des grands télescopes et l’orientait dans la bonne direction, je m’assis sur des marches et ouvris mon sac pour en ressortir quelques feuilles, un sous-main, et un crayon.
Si le Soleil se couchait d’un côté du paysage, à l’opposé, en revanche, la nuit était déjà presque présente, amenant avec elle un ciel sombre et des étoiles par milliers. C’était cette partie qui nous intéressait.

Pour ma part, j’avais l’intention de retranscrire les constellations sur papier. Pas toutes, évidemment ; seules visibles et qui me plaisaient particulièrement. Car oui, bizarrement, je m’étais découvert un petit intérêt pour le dessin. Je n’étais pas très doué, je dois le dire, et c’était d’ailleurs une chose qui s’associait trop étrangement avec un caractère comme le mien, que l’on voyait je-m’en-foutiste et bourrin à la fois – devais-je m’en étonner ?
Quoi qu’il en soit, à ce moment-là je n’avais pas besoin de grand talent vu que je comptais simplement rapporter les points – les étoiles – à bonne distance les uns des autres sur le papier pour former les constellations. J’avais des passions relativement étranges, en y réfléchissant. L’astronomie, les dinosaures… C’était peut-être aussi pour ça que mon patronus était une girafe, à me rappeler l’élégance et la majestuosité des brachiosaures… Des passions plutôt opposées, ou du moins qui n’avaient pas grand-chose en commun… Peut-être trouverais-je ma voix dans l’une d’elles. Ce qui était sûr, c’est qu’avoir pour passion les dinosaures était trop passible de moqueries pour que je ne la confie à n’importe qui.

Je levai la tête vers le ciel, prêt à entamer ce pourquoi j’étais venu – si l’on mettait de côté le plaisir d’avoir Laya pour compagnie. Je pris une grande bouffée d’air et me mis à me questionner. Laisser vagabonder mon esprit là-haut me faisait toujours le même effet : imaginer les autres mondes qui pouvaient accueillir la vie, me demander si on la gâchait comme ici. Je dû rester un bon moment à fixer sans rien dire la voute céleste car Laya interrompit le fil de mes pensées.

« Tu dessines toi, maintenant ? »

Observer la voûte céleste était un de ces rares plaisirs qu'elle ne se refuserait jamais. Le faire en compagnie de Meryc s'annonçait un moment pour le moins agréable, aussi avait-elle accepté sans hésitation la proposition, et le rendez-vous avait été fixé après le dernier cours de la journée, un cours de métamorphose durant lequel elle se montra un peu moins attentive que d'habitude. Elle ouvrit la fenêtre de la salle commune et se permit de prendre une bouffée d'air frais. Le ciel était idéalement dégagé, et le vent ébouriffa son visage. La nuit pointait déjà le bout de son nez tandis que le soleil finissait sa course et souriait aux étoiles naissantes.
Elle frissonna, saisie encore une fois par la beauté de l'extérieur et des grands espaces, se reprit, avant de sortir de la salle commune des Serdaigle, dédiant au passage son habituel coup d'oeil à la chouette, symbole de sa maison.
Elle y retrouva Meryc, portant un léger sac qui éveilla une pointe de curiosité en son esprit, et ils montèrent en haut de la tour d'Astronomie, dans l'Observatoire, endroit certes peu visité, mais néanmoins intéressant pour ceux sachant faire preuve de patience.
Laya s'installa immédiatement devant un des télescopes garnissant le lieu, sortant de son étui un carnet et la plume qui ne la quittaient jamais.
Elle glissa son regard vers les étoiles, frémissant une fois de plus sous l'effet de la beauté que pouvait revêtir un ciel nocturne, les astres étincelants parant le ciel qu'elle aimait temps d'une atmosphère mystérieuse et magnifique dont elle ne se lassait pas.
Jamais.
L'idée que la toute-puissance des Hommes ne soit qu''un minuscule point dans l'univers, qu'il reste encore tant de choses à découvrir, à apprendre, et en même temps que cela ait si peu d'importance.
Tant qu'il restera une part de mystère quelque part dans l'univers, l'Homme restera Homme, voilà la pensée qui lui venait à l'esprit lorsqu'elle pensait aux centaines de milliers de scientifiques scrutant le ciel dans le dessein de tout savoir.
Non, ce qui la charmait tant, dans le ciel, était son absence de limite, cet infini obscurité insondable. Et elle avait l'intime conviction que le jour où il n'aurait plus aucun secret à révéler, il ne revêtirait plus aucune importance à ses yeux.
Le bruit familier du parchemin à son côté la tira brusquement de ses pensées volatiles, et elle vit Meryc, papier et crayon à la main, fixer pensivement le ciel.

-Tu dessines, toi, maintenant ?

Plus une constatation qu'une réelle question, dénuée de la moindre pointe d'ironie que l'on pourrait donner à un questionnement de ce type destiné à quelqu'un dont le tempérament semblait s'associer si étrangement avec l'art du dessin.

Je ris intérieurement face à la question de Laya. De toute évidence, elle trouvait elle aussi que cette activité n’était pas très appropriée à quelqu’un comme moi. Du moins, la connaissant, je supposai qu’elle n’avait pas fait la réflexion en se moquant. Je me détournai de mon parchemin pour la regarder, quelque peu songeur.

« Plus ou moins. Ça me détend, mais on ne peut pas vraiment appeler ça du dessin, vu mon niveau. »

Je reculai le parchemin pour le regarder de plus loin, voir si ce que j’avais tracé jusqu’à présent était assez représentatif de ce que l’on voyait dans le ciel. J’avais fait en pointillé les formes des constellations, et si certains traits n’étaient pas très droits, l’ensemble était plutôt réussi. Je me pris à mon propre jeu, et au fil des minutes, les constellations devenant plus évidentes, mieux réalisées, mieux visibles, je leur donnais leurs formes animales. Trop concentré, je ne vis pas que la nuit ne tarda pas à tomber complètement, et que Laya avait déjà fait un bon tour d’horizon.

Le résultat de mon parchemin n’était pas en soi excellent, et les formes étaient relativement douteuses, mais c’était un début. Je ne savais de toute façon pas si je voulais continuer dans cette voix, perfectionner ce nouveau passe-temps. Pas non plus d’idées concernant mon avenir, du moins je n’y avais jamais vraiment réfléchis. Mais j’avais encore une année pour me poser la question.

Il commençait à faire frais, et bien que ça ne me gênât pas encore, je me demandais si Laya avait froid, auquel cas je pourrais lui proposer mon par-dessus. Nous avions de la chance qu’il fasse ce temps-là ; un ciel aussi dégagé n’était pas admirable tous les soirs. Pour dire, la voie lactée commençait à se faire voir, nous offrant son tracé scintillant, nous attirant vers ses mondes magiques. Je n’avais que rarement vu des étoiles filantes, et je m’étais fait la promesse de rester une nuit pour les admirer.

Je reportai mon attention sur ma plume et la levai, retournant mon parchemin pour le montrer à Laya, penchant ma tête sur côté en grimaçant, en guise d’autocritique.

« Qu’en penses-tu ? »

Le temps s'écoulait lentement, dans un silence seulement brisé par les traits de crayon ponctuels tracé par Meryc.
Laya ferma les yeux, savourant l'instant présent. Un moment de pur plaisir, ce qui se faisait rare, de nos jours : la nuit tombait, plongeant le ciel dans une semi-obscurité laissant distinguer la beauté des astres, le vent lui chatouillait agréablement le visage et faisait voler ses boucles brunes, elle n'avait que le ciel au-dessus d'elle et surplombait en même temps le paysage environnant.
C’était ainsi qu’elle aimait être : tranquille, et seulement bercée par la brise du soir. Et si elle jetait de temps en temps un coup d’œil dans la télescope pour mieux distinguer une étoile qui avait particulièrement attiré son attention, elle restait le plus souvent à observer la voie lactée à l’œil nu, dans son ensemble, car c’était paré de ses minuscules points lumineux qu’il revêtait la beauté qu’elle trouvait au cieux.
Une telle atmosphère émoustillait son inspiration, en témoignaient ses lignes d’encres noircissant inlassablement son carnet. Le froid commença à se faire sentir, ce qui ne la gêna pas le moins du monde. Elle aimait le froid. N’avait jamais compris pourquoi.
Ce ne fut que lorsque la nuit commença à l’empêcher de distinguer de clairement ses pages qu’elle leva la tête.
-Qu’en pense-tu ?
Meryc lui tendait le parchemin sur lequel il griffonnait les constellations depuis un bon moment. Laya prit le temps de détailler les points et les tracés, et ne put retenir une légère grimace :
Pourquoi donc cette volonté de mettre des choses bien à plat, sur papier, alors qu’elles étaient tellement plus belles là-haut ? Pourquoi vouloir rendre accessible des choses qui n’avaient de sens à ses yeux que si elles étaient inaccessibles ?
Parfois, elle se demandait comment elle faisait pour avoir des goûts aussi versatiles. Cette façon d’aimer les choses carrées et rigoureuses comme l’arithmétique et en même temps préférer que la nature reste abstraite.
Sans répondre à la question du Poufsouffle, elle se leva pour s’approcher du bord de la tour, et se pencha légèrement vers le vide. Levant la tête vers le ciel, elle contempla encore un instant les astres, s’emplit les yeux de leur lumière argent voilée, avant de, spontanément et d’une traite, tracer quelques lignes de sa fine écriture, qu’elle présenta à son tour à Meryc, juste à côté de sa feuille tendue, comme pour comparer son œuvre avec la sienne.

La nuit tombe, voilant mille mystères dans l’ombre,
Après la chaude étreinte du soleil, le doux baiser de la lune,
Franchir une porte invisible, où tout n’est que paix et espoir.
La face cachée de chaque chose se révèle, se substituant à la simple réalité,
Sous les mille astres étincelants, multitude mise en valeur par la beauté de la lune,
Les feuilles délacent leur étreinte, terreau de tous les rêves.
Et tandis que le vent murmure à celui qui sait écouter,
Les étoiles, là-haut, font rêver ceux que l’ambition n’atteint pas.

Elle ne prononça pas un mot.
Se contenta de sourire avec bonheur.

Je l’observai avec amusement. Comparer son poème à mon dessin était plutôt inattendu. Ces deux arts d’avaient rien à voir, et qui plus est, ça ne répondait pas vraiment à ma question. Ou alors, je n’avais pas saisi le concept. L’art n’était de toute façon, à la base pas mon fort. Encore une fois, à la vue de mon gabarit et surtout de mon caractère, c’était très étonnant que l’art m’attire. Alors je souris à Laya et ramenai mon parchemin vers moi.

Il n’y avait pas vraiment de prochaine étape. Les constellations n’avaient pas besoin d’être coloriées, et je n’allais pas non plus en inventer. Alors en attendant que Terre, en tournant, n’en révèle de nouvelles, je décidai de laisser mon esprit vagabonder. J’attrapai un autre parchemin et saisi à nouveau mon crayon. Je commençai à tracer une ligne, une courbe, qui fit une forme à laquelle je m’attendais. Des contours, des gestes, d’abord maladroits mais qui devinrent de plus en plus visibles et précis. Et au bout de quelques minutes, ça devint évident. J’étais en train de dessiner un brachiosaure. Je m’arrêtai en soupirant. Je ne savais vraiment pas pourquoi les dinosaures me fascinaient et me passionnaient autant. Peut-être devais-je poursuivre dans l’archéologie ? Je ne savais même pas si ça existait pour sorciers.

Mais après tout, pourquoi pas ? Je ne me voyais pas me lancer dans une carrière d’astrologie, ni d’artiste, ces deux passions aussi grandes soient-elles. Et après réflexion, l’archéologie, ou quelque chose qui s’en rattachait, pouvait être un bon compromis, une bonne solution. Au moins, ça me plaisait, et il y avait plusieurs métiers en rapport avec ça. Mais bon, ça n’était pas un soir comme celui-ci, au sommet de la tour d’astronomie, venu pour faire autre chose, que j’allais décider de mon avenir ainsi. Les coups de tête pouvaient avoir du bon, mais à encore une année de la sortie de l’école, ça ne rimait à rien.

Je remarquai que j’avais arrêté de dessiner, avec toute cette réflexion. Le regard perdu dans les cieux, trop grands pour qu’on ne s’y plonge pas, je me demandais où en était Laya. Si je décidais de rester, de vivre enfin la « nuit des étoiles filantes ». Mais encore fallait-il échapper à la ronde du concierge et ceux qui vérifiaient que tous les élèves étaient bien dans leur dortoir. Je tournai alors la tête vers Laya qui me regardait, l’air de dire « tu reviens à la réalité ? » et lui dis :

« Passer outre les règles cette nuit, ça te tente ? »