Tu l’attendais depuis maintenant trente minutes. Trente minutes accotée contre le mur, en attendant que Mme Pritchard arrive. Trente minutes à te tordre les mains, à hésiter, à te relever, à changer à nouveau d’idée et à attendre. Trente longues minutes où tu n’arrivais plus à penser correctement. Trente minutes pendant lesquelles tu as bien failli abandonner quatorze fois. Tu te jouais nerveusement dans les cheveux, te disant toujours que tu étais stupide. Que tu devrais partir. Qu’elle ne t’écoutera pas et que tu te seras fait tout ce souci pour rien. Tu soupires. Tu te sens stupide. Après tout, personne n’a de problème avec cela. Tu es la seule à tenter de trouver d’autres options, des options qui te permettraient de surmonter tes problèmes et tes insécurités. Tu devais être la seule étudiante de Poudlard à y songer sérieusement depuis quelques instants. La seule à qui cela avait traversé l’esprit. Ils ne pouvaient pas te comprendre, et ce n’était pas ce que tu attendais d’eux. Tu voulais simplement être aussi compétente que les autres. Tu voulais avoir les mêmes chances de réussir et tu ne voulais pas être diminuée juste à cause d’une stupide maladie. Tu voulais être normale, dans un sens, toi aussi. Tous se plaignaient d’être ordinaires, ils voulaient être uniques. Toi, unique, tu l’étais, et tu ne voulais qu’une vie normale. À croire qu’on veut toujours ce qu’on ne peut pas avoir. Et toi, ce que tu voulais, c’était effectuer tes sorts sans avoir à tenir une baguette, et la seule qui pouvait t’aider là-dessus était heureusement professeur à Poudlard : Varvara Pritchard.

Tu n’étais pas tout à fait sûre d’où la trouver, alors tu avais préféré l’attendre à l’entrée de la salle des professeurs, certaine qu’elle finirait bien par passer par là un jour ou l’autre. La bonne idée. Te voilà maintenant à attendre et à avoir tout le temps du monde pour changer d’idée. Ce que tu avais bien failli faire. Tu te sentais un peu stupide de lui demander pareil service, surtout ainsi plantée devant cette porte. Elle n’aurait probablement pas de temps à t’accorder et tu aurais ainsi perdu trente minutes de ta vie à t’inquiéter, à te ronger les ongles et à jouer nerveusement dans tes cheveux. Tu te trouvais pathétique de réagir ainsi. Parce que tu savais que tu avais atrocement besoin de ces cours. Tu voulais apprendre. Tu devais apprendre. Tu n’en pouvais plus de rater tes sors parce que ta baguette tremblait, à cause de tes mains. C’était horrible. Et leurs rires, leurs moqueries alors qu’ils visaient correctement, eux. Qu’ils avaient les félicitations alors qu’on te réprimandait encore. Dire qu’on t’avait demandé de t’acheter des lunettes! Pour qui ils se prenaient? Ce n’était pas de lunettes dont tu avais besoin. Tu les voyais parfaitement bien, leurs sourires amusés alors que tu manquais ta cible une énième fois. Et tu n’en pouvais plus.

Tu la vois au bout du couloir et ton cœur accélère. Tu peux le faire. Tu peux lui demander. Qu’est-ce que ça va te coûter? Au pire elle te dira non, mais elle pourrait également accepter et tu pourrais avoir ces cours qui te tiennent tant à cœur. Qui feraient très probablement cesser les moqueries. Tu ne faisais pas cela pour avoir l’air brillante devant tes amis. Tu le faisais pour toi. Pour qu’enfin tu puisses jeter correctement des sorts, des sorts qui atteindraient toujours leur cible. Tu ne voulais pas être diminuée physiquement alors que tu avais la capacité de jeter ces sorts-là. Ça te frustrait au plus haut point. Alors lorsqu’elle arrive à ta hauteur, tu te relèves et tu lui souris timidement. « Excusez-moi… J’espère que je ne vous dérange pas. C’est juste que… J’aurais un service, euh, un peu spécial à vous demander. Et ça me tient beaucoup à cœur. » Ça pour te tenir à cœur, tu ne mentais pas. Tu l’observais fixement, tentant de savoir si au moins elle était ouverte à t’écouter ou si elle refuserait tout bonnement d’entendre ta requête. Ce qui te vexerait au plus haut point. C’était Alistair qui t’avait poussée à aller poser la question lorsque tu avais émis l’hypothèse d’apprendre à jeter des sorts sans avoir besoin de baguette. Et si tu étais là, c’était parce qu’il croyait en toi, et que s’il croyait en toi, tu pouvais tout faire. Même demander à un professeur que tu ne connaissais pas vraiment de changer ta vie.

« J'aimerais que vous m'appreniez à lancer des sorts sans avoir besoin de baguette. »

Maudits soient les élèves de première année.

Les derniers petits sacripants quittaient à peine la salle de classe que Varvara s'allumait une cigarette en poussant un long soupir de bonheur. Pour l'amour de Grindelwald. Elle avait certes déjà enseigné, mais ça avait toujours été à une personne à la fois, et à des personnes expérimentées en magie. Des personnes qui savaient. Pas à des singes braillards incapables de se tenir sur une chaise. Et peu importe ce que Stjepan dirait à ce sujet : lui avait enseigné à Dürmstrang, donc ses gamins inexpérimentés avaient quinze ans et étaient issus de familles sorcières. Pas onze et parfois aucune connaissance de base du monde magique. Ça avait le don de l'exaspérer et le peu de patience qu'elle avait étaient mis à rude épreuve avec ses élèves. Au moins ceux-ci se révélaient-ils intéressés par la matière, quand elle daignait en faire quelques démonstrations.
Ha oui, parce que sinon, l'histoire de la magie ancienne, ça ne les intéressait pas du tout. Alors que c'était capital.
Après fumé sa cigarette, assise sur son bureau, elle rangea son matériel de cours et partit pour le bureau des professeurs. Elle avait reçu la dernière édition du Quidditch Mag ! et elle devait la filer à Jeremiah, puisqu'elle l'avait lue et que c'était donc à son tour. Un échange de bons procédés acceptable, puisqu'ils pouvaient ensuite en discuter.

Elle chemina rapidement jusqu'à la pièce désirée, relisant distraitement un article du magazine qu'elle tenait entre ses mains, et elle aurait même pu y entrer si une jeune fille ne l'avait pas arrêtée. La main suspendue au-dessus de la poignée de la porte, elle dévisagea l'intruse qui voulait te demander un service. Un service, elle. Pour ce qu'elle était de généreuse... hrm. C'est une bien étrange chose. Elle haussa un sourcil interrogateur à ses premiers mois, mais n'ajouta rien, puisque l'élève continua. Pour formuler une demande Ô combien plus... précise. Et risquée. Les yeux sombres de Varvara détaillèrent la jeune fille devant elle. Blonde comme les blés, un visage doux et avenant, un uniforme aux couleurs de Poufsouffle. Sa demande était audacieuse et elle aimait l'audace, surtout venant d'une jeune fille qu'elle n'avait jamais vue. L'enseignante ouvrit la porte du bureau des professeurs et fit un petit signe de la main à celle qui l'avait attendue. « Suivez-moi. » Pas une salutation, pas rien du tout sauf cet ordre. Elle tint la porte le temps que Fulmina entre, puis se dirigea vers le bureau fermé dans lequel les enseignants rencontraient parfois des étudiants. Son sien de bureau était situé à l'arrière de sa salle de classe, mais elle passait une bonne partie de son temps au bureau des professeurs à parler Quidditch avec Jeremiah ou à toiser avec mépris Mladvieva. Des activités saines, qu'on se le dise. En passant, elle jeta le bureau devant Jeremiah, qui était en train de corriger elle ne savait quelle copie de son cours. « Voilà. L'article sur le dernier match des Canons de Chudley contre les Harpies de Holyhead est scan-da-leux, c'est à se demander si le journaliste a oublié ce qu'est le Quidditch. Et tu me diras ce que tu penses de l'entrevue avec Darren Langsley-Crow, des Frelons de Winbourne. Je serai dans le bureau avec madame, s'il y a une urgence du type mort, mais sinon, je ne veux être dérangée sous aucun prétexte. » C'était bien clair. La porte du bureau s'ouvrit d'un geste de la main de la brune et une fois qu'elle et la jeune fille furent entrées, elle la referma d'un seul regard.

Un sourire pour la jeune fille, qu'elle invita à prendre place dans un des fauteuils d'un signe de la main. Le soleil brillait fort, à l'extérieur, et rendait la pièce plus chaleureuse et à peine moins impersonnelle. Varvara continua de regarder la blonde pendant quelques secondes avant de vraiment lui parler. « Vous êtes la première à venir oser me demander cela. Et franchement, j'apprécie cette initiative, surtout que vous n'êtes pas une de mes élèves, que je ne vous connais pas et que j'ignore même encore votre nom. » L'enseignante s'assit sur le bureau, non pas sur la chaise, face à Fulmina. « Cela dit, avant que j'accepte quoi que ce soit, je veux des explications. Pourquoi vous voulez ces cours, d'abord. Ou enfin, après m'avoir dit qui vous êtes et m'avoir parlé un peu de vous. Oui, finalement, commencez par ça. Votre nom, votre âge, votre maison je le sais, vos ambitions, vos options, vos passes-temps, tout ce que vous trouvez important que je devrais savoir sur vous. Si j'accepte de vous donner des cours, nous allons passer plusieurs heures ensemble, en tête à tête, alors... vaut mieux que je sache tout de suite si je vais pouvoir vous supporter. » Elle était franche, mais polie. Et en cet instant, bien curieuse.

« Suivez-moi. »

Oh, combien ces mots étaient doux à tes oreilles. Tu savais bien que ce n’était pas encore un oui très clair, mais c’était un certain intérêt, et c’était tout ce que tu pouvais espérer de la professeure pour l’instant. Tu la comprenais d’être un peu sceptique. Ta demande n’était pas usuelle, elle était même carrément insolite. Mais c’était le premier pas vers ce que tu espérais être les cours qui te permettraient de ne pas être la seule élève de septième année à être incapable de lancer un sort correctement avec sa baguette. Pas parce qu’elle n’était pas doué. Pas parce qu’elle ne prononçait pas les mots correctement. Pas parce qu’elle n’était pas assez déterminée à réussir et qu’elle faisait tout à moitié. Non. Parce que tes mains tremblaient, et que tu n’y pouvais absolument rien. Tu suis la suis donc dans la salle des professeurs avec appréhension, mais avec une détermination que tu ne te connaissais pas. « Voilà. L’article sur le dernier match des Canons du Chudley contre les Harpies de Holyhead est scan-da-leux, c’est à se demander si le journaliste a oublié ce qu’est le Quidditch. Et tu me diras ce que tu penses de l’entrevue avec Darren Landsley-Crow, des Frelons de Winbourne. Je serai dans le bureau avec madame, s’il y a une urgence du type mort, mais sinon, je ne veux être dérangée sous aucun prétexte. » Ça aussi, c’était bien. C’était même tellement mieux que ce que tu avais imaginé au départ que tu te mettais à espérer. Peut-être que oui. Peut-être que, finalement, ça allait arriver.

Tu t’assois dans le fauteuil que Varvara te désigne, et tu l’observes sereinement, bien qu’avec curiosité et une pointe probablement perceptible d’excitation. « Vous êtes la première à venir oser me demander cela. Et franchement, j'apprécie cette initiative, surtout que vous n'êtes pas une de mes élèves, que je ne vous connais pas et que j'ignore même encore votre nom. » Vrai. Tu souris à ces mots, et tu la laisse continuer, ne sachant pas vraiment quoi répondre à cela de toute façon. « Cela dit, avant que j'accepte quoi que ce soit, je veux des explications. Pourquoi vous voulez ces cours, d'abord. Ou enfin, après m'avoir dit qui vous êtes et m'avoir parlé un peu de vous. Oui, finalement, commencez par ça. Votre nom, votre âge, votre maison je le sais, vos ambitions, vos options, vos passes-temps, tout ce que vous trouvez important que je devrais savoir sur vous. Si j'accepte de vous donner des cours, nous allons passer plusieurs heures ensemble, en tête à tête, alors... vaut mieux que je sache tout de suite si je vais pouvoir vous supporter. » Ah. Tu la regarde de nouveau, un peu éberluée. Tout ça? Mais était-ce vraiment pertinent? N’allait-elle pas… S’ennuyer? Et qu’allais-tu dire? Tu ne parlais jamais de toi, sauf quand on te posait des questions très directes. Et là, malheureusement, il n’y avait rien de plus direct que cela.

« Alors… Je m’appelle Fulmina. Je suis en dernière année et j’ai l’étude des moldus et le soin aux créatures magiques en option. Mes passe-temps... Je chante. Sinon j’aime bien aller nager dans le lac. Je lis beaucoup. Tu te sentais parfaitement ridicule. Mon petit ami a failli me tuer quand on s’est rencontrés. Tu souris à ce souvenir. Puis tu te ressaisis. C’est parfaitement stupide. Mais ça faisait partie de toi, comme tout le reste. Je suis malade. Tu montres tes mains.Je ne sais même pas comment ça s’appelle. Je ne veux pas le savoir. Tout ce que je sais, c’est que bientôt, je vais mourir. Et que je n’aime pas savoir que je vis en vain. Que de toute façon, tous ceux que j’aime, tous ceux qui me permettent de passer ces moments-là, je vais les abandonner. Alors je ne voulais pas m’attacher. Mais vivre sans aimer, c’est con, non? Alors j’avais prévu de me suicider. C’était dur, de parler de tout ça, de le dire à voix haute. Mais tu continuais. Tu n’avais pas le choix. Je l’avais prévu depuis longtemps. Puis, Alistair est arrivé, et je me disais que la vie valait peut-être la peine d’être vécue. D’un autre côté, si je le laissais trop s’attacher, j’allais le faire souffrir. Mais je suis égoïste. Alors j’ai voulu avoir le meilleur des deux mondes : être heureuse un moment avec lui, puis partir, ne pas laisser ma maladie m’emporter. Avoir le contrôle sur ma vie, rien qu’une fois. Mais comme vous vous en doutez, ça n’a pas marché. À cause, ou grâce, je ne sais plus, à lui. Vous pouvez penser que je ne suis qu’une pauvre fille égoïste qui s’accroche à son copain de façon pathétique. Tu souris, tristement. C’est vrai. Mais voyez-vous, maintenant, j’ai envie de me battre. Même si je sais qu’à quelque part, il ne me reste plus beaucoup de temps. Je vais devoir partir, dans quelques années. Peut-être dans dix ou quinze ans, si je suis chanceuse. Mais je dois profiter du temps que j’ai avant qu’il ne soit trop tard. Parce que ça s’aggrave. Avant, je ne tremblais que par période, maintenant, c’est presque constant. Je deviens paranoïaque. Il y a des moments où je sursaute à chaque bruit. J’ai des pertes de mémoire plus ou moins graves également. Parfois, c’est juste l’heure. D’autre fois, c’est la date, le jour de la semaine, mon prochain cours. Et ce qui m’effraie le plus… C’est oublier les gens. »

Tu ne sais pas pourquoi tu lui racontes tout ça, mais tu as l’impression que c’est la chose à faire. La seule chose à faire. Elle doit savoir. Elle voulait savoir, alors voilà. Maintenant, elle sait. Tu te demandes ce qu’elle va faire, maintenant qu’elle est au courant. Avoir pitié? Rire?

« J’ai peur de finir démente sur un lit d’hôpital. Seule, sans personne pour m’aider à passer à travers. Tu prends une grande inspiration. Tu ne l’avais jamais dit à voix haute. Et j’ai peur des requins. » C’est tellement ridicule que tu pars d’un léger rire nerveux. Tu retrouves ton calme un peu après, incertaine. Tu ne sais pas quoi rajouter à tout ça.

« Il y a une dernière chose que vous devez savoir… Ils rient, vous savez. Ils rient de moi. Ils font tomber mes parchemins dans les corridors. Ils disent que je suis un monstre. Que je suis une abomination. Que je ne le mérite pas, parce que c’est un Serpentard, et que logiquement, il est meilleur que moi. Mais on est juste… Différents. Et je crois que c’est ça qui leur font si peur. Je n’y peux rien. J’ai peur d’eux. Je ne peux pas leur faire face, alors j’endure sans un mot. À cause de... ça, je n'arrive pas à viser correctement. Tu baisses finalement les yeux, et tu termines d’une toute petite voix. Ne les laissez pas m’humilier encore plus. S’il vous plaît. »

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