Depuis que le dérèglement de mes transformations avait commencé, c'est à dire il y a un mois environ, ça restait quand même assez régulier. Un peu contradictoire, je l'admet. Ce que je veux dire c'est que, malgré le fait que je ne sois plus maître de mes transformations, les intervalles demeuraient assez équivalents. Il y avait environ cinq jours d'écart entre chaque et je restais sous ma forme de Sirin seulement six ou huit heures. C'était dérangeant dans le sens où ce n'était pas voulu et que de ce fait, ça tombait durant certains cours. Je n'aimais pas du tout avoir à sécher, ça ne me ressemblait pas du tout, mais je n'avais pas le choix.

Cette fois-ci, tout était complètement différent. Ces transformations devenaient véritablement aléatoires. Il ne s'était écoulé que deux jours depuis la dernière fois où je m'étais vue obligée de m'absenter pour aller m'isoler en forêt. Je sais qu'à force, quelqu'un finira par remarquer qu'il se passe quelque chose d'inhabituel avec moi. Une Poufsouffle qui sèche de plus en plus souvent, surtout que parmi ces cours, il y avait celui de Soins aux créatures magiques, mon préféré, ça ne pouvait pas passer inaperçu, même aux yeux des personnes qui ne prêtaient pas plus attention à moi que ça en temps normal. Je suis quand même quelqu'un que l'on remarque : je suis blonde et asiatique. Je n'ai donc pas compris ce qui se passait, pensant que tout serait à peu près régulier, je n'ai même pas eu le temps de préparer ce que je préparais généralement. Je prends soin de laisser un mot à mes camarades de chambre pour ne pas les inquiéter mais cette fois-ci, je n'ai rien pu dire. Je sens que je vais me faire sermonner à mon retour, je n'aime pas ça du tout.

Sentant que mes plumes souhaitaient faire leur apparition de façon prématurée, je m'étais donc précipitée vers la forêt interdite, prenant ma cape au passage pour éviter d'être repérée sur le chemin. Quelqu'un qui se voit pousser des plumes, ça ne passe généralement pas aperçu dans une école de sorciers. Je pressai le pas sans pour autant courir, il fallait rester plus ou moins naturelle, bien que ce soit quasiment impossible de l'être totalement. Mais finalement, j'ai réussi à regagner la forêt assez rapidement, juste à temps pour la finalisation de la transformation. Ça me désole à chaque fois, je n'aime pas du tout cette apparence, je la trouve disgracieuse et pourtant, les oiseaux font partie des animaux les plus beaux dans ce monde. Mais un Sirin est bien plus grand qu'un oiseau normal, ce n'est pas aussi mignon, et encore, j'ai de la chance, ce n'est plus comme dans l'Antiquité où mes semblables préservaient leur visage d'humain. Ce serait bien embêtant pour moi, ma couverture serait brisée si c'était le cas. Mais ça n'empêche que je ne supportais pas cette forme.

▬ Fait chier, il fallait que ça arrive à cette période là de la semaine.

Il ne faut pas croire qu'une fois sous cette forme, je peux vivre paisiblement comme n'importe lequel des animaux de cette forêt. Je n'ai toujours pas l'habitude de cet instinct dont j'hérite à chaque fois que je deviens ce foutu tas de plume. Manger des vers de terre, ça me dégoûte, et pourtant j'en ressens le besoin. Je ressens un besoin indescriptible de chanter, aussi. Ça me dérange moins, mais ce n'est tellement pas naturelle. On sent bien que je ne suis pas un véritable oiseau lorsque je me mets à chanter. Et c'est pour ça que je me cache, parce que ma mère m'a mise en garde qu'il y avait bien souvent des personnes malveillantes qui chassaient nos semblables. Il y en a toujours dans les forêts avoisinant les écoles de magies, c'est tellement plus facile de tomber sur ce qu'ils cherchent. C'est pourquoi je dois être vigilante constamment.

Cette fois-là, je crois que le fait de ne pas m'être préparée à devoir passer plusieurs heures dans cette forêt a engendré une certaine inattention de ma part. Je n'ai pas su me cacher à temps, je n'ai pas su être assez discrète et évidemment, ce foutu chasseur traînait dans le coin. Je l'ai entendu, je l'ai senti. Je n'ai pas les instincts de félins ou de canidés, c'est vrai, mais j'arrive quand même à sentir sa présence. Mon premier réflexe était de ne pas bouger, mais je me suis rapidement rendue compte que ce n'était pas la meilleure des choses à faire. Prise de panique, je me suis envolée et j'ai filé en vitesse dans une direction que je n'ai même pas pris le temps d'évaluer. J'entendais ses pas qui continuaient à me suivre, il était là et visiblement je n'étais pas hors de sa portée. A tout moment il pouvait m'attaquer et me jeter un sort pour m'abattre. J'aurais dû faire vite et me cacher avant de me faire repérer, mais j'ai été insouciante.

Je commençais à avoir du mal à supporter mon poids. Je peux voler comme le font les oiseaux, certes, mais mon poids reste assez considérable et je n'ai pas l'habitude de voler aussi longtemps. Je n'entends plus les pas derrière moi, il me semble que j'ai réussi à le semer mais je n'arrive plus à me supporter et sans rien voir venir je me retrouve à chuter vers le sol. C'est une honte pour un volatile de s'écraser aussi facilement. Je les entends rire de moi, je les entends se moquer. C'est insupportable.

La douleur aussi est insupportable. Je suis allongée au sol, incapable de reprendre ma forme humaine pour essayer de choper ma baguette et de faire quelque chose. Je suis incapable de me relever et de marcher. En gros, je suis condamnée à rester allongée sur le sol jusqu'à ce que le destin daigne bien me libérer de cette entrave. Si seulement deux jours s'étaient écoulés entre deux transformations, qui pouvait m'assurer que je n'allais pas rester dans cet état durant trois jours ? Ça me faisait peur, j'étais vraiment inquiète, et je ne pouvais pas appeler au secours. Tout un tas d'hirondelles vinrent se poser tout autour de moi sans rien pouvoir faire pour moi. Qu'est-ce qu'un foutu pigeon pourrait faire de toute manière ? C'est bien l'animal le plus inutile au monde : le pigeon.

Des pas semblent indiquer que quelqu'un s'approche de ma position. Il a donc finit par me retrouver ? Il va donc réussir à m'achever ?